Guy Berlin

Les huiles essentielles sont-elles bénéfiques ou inutiles ?


Cette question peut paraitre incongrue de la part d’un aromathérapeute scientifique, mais elle est légitime de la part des personnes qui ne connaissent pas les usages des huiles essentielles, ou de celles qui ont été mises en garde par certains médecins ou écrits supposés scientifiques.

Comme souvent, la réalité est plus complexe et nécessite que l’on s’y attarde. Examinons les arguments des uns et des autres. Les détracteurs des huiles essentielles avancent généralement les éléments suivants :

  1. Etudes scientifiques : elles sont peu nombreuses in vivo (1), et en général à petite échelle. Les études réalisées sont pour la plupart in vitro (2), et celles qui le sont in vivo le sont sur des animaux (souris de laboratoire le plus souvent), rendant très difficile l’extrapolation aux êtres humains.
  2. Effet placebo : les huiles n’agiraient que comme un effet placebo
  3. Dangerosité et toxicité : les huiles essentielles sont des extractions de plantes très concentrées qui, mal utilisées ou en trop grandes quantités, peuvent se révéler dangereuses. Elles seraient une « mode » de retour à la médecine naturelle, mais ne seraient pas dénuées de toxicité ou de composants allergènes.

(1) in vivo: Se dit des réactions chimiques, physiques ou des interventions pratiquées sur l'être vivant, soit à titre d'expérimentation ou de recherche, soit dans un dessein diagnostique ou thérapeutiquet

(2) in vitro : Se dit des réactions chimiques, physiques, immunologiques ou de toutes les expériences et recherches pratiquées au laboratoire, en dehors d'un organisme vivant

On peut reprendre ces arguments et les analyser plus finement afin de comprendre ce qu’il peut y avoir de vrai, de faux et, en toute humilité, quelques fois sans réponses évidentes.

 

1) Etudes scientifiques

Il existe à ce jour plus de 22 000 publications scientifiques dans le monde sur les huiles essentielles.

C’est beaucoup, et c'est le signe d'une activité soutenue dans ce domaine.

Elles sont rédigées pour la plupart par des chercheurs et des praticiens de santé reconnus dans leurs domaines. Elles analysent les propriétés biologiques  des molécules des huiles essentielles et leur activité potentielle sur les dysfonctionnements du corps humain.

 

Il est vrai, en revanche, que les études in vivo sur le corps humain sont peu nombreuses. Elles tiennent à un grand nombre de facteurs, non exhaustifs :

  • coût des études systémiques à large échelle alors que les molécules végétales naturelles d’une huiles essentielle ne peuvent pas faire l’objet d’un brevet (et ne représentent donc pas d’intérêt économique)
  • nécessité de spécialistes pluridisciplinaires des pathologies humaines afin de recroiser les résultats. En effet, les molécules des huiles essentielles peuvent agir sur plusieurs cellules et organes en même temps. Analyser leur réel impact sur le corps humain demande de nombreux spécialistes différents.
  • homogénéité des huiles essentielles lors des essais cliniques. Les HE ne sont pas des molécules de synthèse et ne sont donc pas exactement reproductibles.

Est-ce que pour autant il faille nier les résultats positifs des innombrables études in vitro (ainsi qu'in vivo sur les souris), et les études chimiques théoriques à visée thérapeutique ? Ma réponse de scientifique est prudemment positive : la théorie semble indiquer des voies thérapeutiques avérées même si les preuves ultimes de laboratoires ne sont pas nombreuses (contrairement aux résultats thérapeutiques réels, très impressionnants).

 

Exemple d’étude : l’huile essentielle (HE) de Thym vulgaire à thymol (Thymus vulgaris L. thymoliferum)

Prenons par exemple les huiles essentielles dont les molécules majoritaires sont des phénols (carvacrol, thymol, eugénol, xanthorrhizol), reconnues comme ayant des actions antibactériennes et antivirales importante. De très nombreuses études in vitro ont mis en évidence l’action du carvacrol et du thymol de l'huile essentielle de Thym vulgaire à thymol (Thymus vulgaris L. thymoliferum) sur la bactérie staphylocoque doré (Staphylococcus aureus) qui agissent :

  • en s’attaquant à sa paroi bactérienne, provoquant une augmentation de la perméabilité puis la perte des constituants cellulaires ;
  • en acidifiant l’intérieur de la cellule, bloquant la production de l’ATP  (adénosine triphosphate, entrant dans la fabrication des acides nucléiques) et la synthèse des composants de structure ;
  • en détruisant le matériel génétique, conduisant à la mort de la cellule bactérienne.

[International Journal of Innovation and Applied Studies -  ISSN 2028-9324 Vol. 8 No. 4 Oct. 2014, pp. 1418-1431 © 2014 Innovative Space of Scientific Research Journals]

Action des huiles essentielles et de leurs constituants sur la cellule bactérienne

(Burt – 2004)

 

Au passage, on remarque que c’est souvent la conjonction de plusieurs molécules qui permet d’obtenir un résultat intéressant, contrairement aux médicaments de synthèse qui ne disposent que d’un seul composant actif.

 

Cet exemple, parmi des milliers, indique une action certaine in vitro de l'huile essentielle de Thym vulgaire à thymol sur le staphylocoque doré.

 

Une fois ce résultat acquis in vitro, il reste la question de la biodisponibilité dans le corps humain (ou des souris), c’est-à-dire la capacité pour une fraction des molécules administrées à parvenir inchangées dans la circulation sanguine systémique, et la vitesse à laquelle se réalise ce processus. Plus la biodisponibilité est importante, plus la molécule administrée a de chances d’atteindre sa cible (staphylocoque doré dans ce cas spécifique) et d’obtenir le résultat espéré (sa destruction).

 

Cette question de biodisponibilité est très complexe et fait intervenir de très nombreuses réactions, le plus souvent hépatiques (le foie est une usine de métabolisation des molécules = réactions qui se produisent à l’intérieur des cellules des organismes vivants). Bien entendu, la biodisponibilité n’est pas spécifique aux huiles essentielles. Tous les éléments absorbés par le corps humain (aliments, médicaments, probiotiques, oligoéléments, etc…) la subissent.

 

En d’autres termes, la question de savoir si les molécules de carvacrol et thymol de l’huile essentielle de thym vulgaire ont pu atteindre leurs cibles dans le corps humain est primordiale, comme elle l’est pour les médicaments. Ni plus, ni moins.

 

Le fait de ne pas disposer d’études systématiques à grande échelle sur le corps humain  ne démontre pas que l’huile essentielle du thym vulgaire à thymol n’a aucun effet sur le staphylocoque doré qui aurait contaminé une personne. De même, à ma connaissance, il n’y a aucune étude scientifique démontrant l'absence d'efficacité de l'utilisation du thym vulgaire à thymol sur des personnes contaminées par le staphylocoque doré.

 

En résumé, du point de vue purement scientifique, et si l’on veut rester prudent, on pourrait indiquer alors une « action probable ou possible» de l’HE de thym vulgaire sur le staphylocoque doré. Mais, a contrario,  on ne peut pas affirmer une totale absence d’activité bactéricide de l’HE de thym vulgaire sur le staphylocoque doré chez une personne contaminée.

 

Si on revient à la pratique quotidienne d’un aromathérapeute, la réponse  à la question est nettement plus formelle dans l’exemple cité ci-dessus : oui, absolument, l’utilisation de l’huile essentielle de thym vulgaire est très efficace dans les pathologies infectieuses en usage externe (elle doit être diluée car elle est dermocastique).

Cet exemple du thym vulgaire à thymol sur une bactérie donnée (il existe bien d'autres exemples de bactéries ciblées par le thym vulgaire à thymol) n'est qu'un cas parmi des milliers à avoir été étudié. Il est important de ne pas le perdre de vue. 

2) Effet placebo

L'importance de l'effet placebo sur le corps humain est connue depuis longtemps.

En médecine classique allopathique, on sait que lorsque « l’on donne un placebo à la place d'un traitement contre la douleur, on va aller activer dans le cerveau les structures qui fabriquent de la morphine. Les études les plus récentes qui s'appuient sur les techniques d'imagerie fonctionnelle et qui permettent de voir le cerveau en action ont montré qu'effectivement, quand on donne un placebo, on va mettre en jeu un certain nombre de régions du cerveau » (Didier Bouhassira, neurologue et directeur de l'unité Inserm "Physiopathologie et pharmacologie clinique de la douleur" de l'Hôpital Ambroise Paré à Boulogne-Billancourt).

 

Donc, il n’est pas exclu que l’administration d’huiles essentielles, que ce soit sous forme cutanée ou olfactive, puisse provoquer également un effet placébo. On ne peut pas le nier.

 

Cependant, il arrive que certaines huiles ne donnent pas les résultats escomptés et qu’il faille en changer, de même que les protocoles proposés. Si l’effet placebo était le seul mode de fonctionnement des huiles essentielles sur le corps humain, alors on pourrait conseiller n’importe quelle huile pour n’importe quel trouble, et cela fonctionnerait. Ce n’est évidemment pas le cas. En d’autres termes, oui l’effet placebo peut exister, mais il ne suffit certainement pas à expliquer à lui seul les effets bénéfiques consécutifs à l’administration des huiles essentielles même s’il peut en potentialiser leur usage.

 

3) Dangerosité et toxicité potentielle des huiles essentielles

Oui, les huiles essentielles, mal utilisées et prises en trop grandes quantités peuvent se révéler dangereuses et toxiques.

Mais c’est vrai également pour les médicaments allopathiques. Si l’on prend 10 comprimés de paracétamol par jour, dosés à 1000 mg, on se met en danger de mort.

Si nous n’observons pas les doses et modes d’utilisation des médicaments, nous pouvons également en subir les conséquences. Personne n’est derrière notre dos pour vérifier que nous prenons nos médicaments comme il se doit.

De même avec les huiles essentielles. Votre aromathérapeute vous conseillera une utilisation particulière, qu’il faudra suivre correctement.

Quant aux effets secondaires des médicaments, il suffit de jeter un coup d’œil aux notices d’utilisation pour prendre conscience de leur dangerosité potentielle. De ce point de vue-là, les huiles essentielles concentrent pas ou très peu d’effets secondaires.

Par contre, clairement, certaines huiles sont allergisantes, et d’autres sont à proscrire pour les femmes enceintes, allaitante ou les très jeunes enfants. D'autres sont à éviter en cas de cancer hormono-dépendant, de prise d'anticoagulants, etc...

 Il faut être très vigilant à ce sujet. D'où l'intérêt de consulter des praticiens confirmés en aromathérapie.

4) Conclusion "provisoire"

Finalement, est-ce que les huiles essentielles sont bénéfiques ou inutiles ?

On peut avoir un avis partagé sur la question en fonction de sa propre sensibilité.

Sur le plan scientifique, certains rechercheront la preuve absolue, d’autres des pistes prometteuses qui leur permettent d’avancer sur la base d’expérimentations solides, d’autres enfin suivront les avis de leurs médecins car ils représentent l’autorité sanitaire ultime.

En tant que scientifique de formation, et m’étant fortement documenté sur le sujet, je suis certain de leur efficacité théorique et des bénéfices potentiels apportés.

Dans ma pratique, je suis encore plus affirmatif. Les conseils donnés à mes consultants ont presque toujours atteint leur but. Et lorsqu’un protocole ne fonctionne pas, on a toujours d’autres propositions qui permettent d’y parvenir. C’est l’avantage de disposer d’huiles essentielles aux nombreuses molécules différentes qui, en se combinant, vont donner les résultats escomptés.

Un trait d’humour connu dit qu’une angine virale passe en une semaine sans médicaments et en 7 jours avec des huiles essentielles. En supposant que ce soit vrai (et j'en doute fortement…), la douleur et la pénibilité seront bien moindres avec des huiles essentielles. Ne fut-ce que cela, c’est déjà un progrès.

Enfin, gardons en tête que les plantes restent au coeur de la pharmacopée humaine. D'après Jacques Fleurentin (ethnopharmacologue), il y a 20 ans, on avait à peu près 30% de médicaments à base de plantes. Dans le domaine de la cancérologie, 42% des médicaments de chimiothérapie sont au départ d’origine végétale.

Dans ce cadre, considérons l'apport des huiles essentielles comme un véritable complément aux soins allopathiques apportés par ailleurs.

 

La démarche pour tout sceptique devrait être rationnelle : tester pour se faire réellement un avis. Et, bien sûr, si possible, prendre conseil auprès d'un aromathérapeute...

© Guy Berlin - Aromatologue


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